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| 66844 | MCM REV XXI | autres textes imprimés | 44 - MCM (Nantes) | Disponible |
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Dépouillements
Ajouter le résultat dans votre panier[article]Les petits soldats d'Erdogan MANACH, Kevin ; BIENVENU, Ugo - In : XXI, printemps 2017 (01/04/2017), N°38, P. 32-43
En Turquie, la société civile n'a plus son mot à dire. Le drame du pays, ce n'est pas la crise économique, même si elle frappe, ce n'est pas la rébellion kurde, qui ne demande qu'à s'apaiser, c'est la paranoïa grandissante et le refus du dialogue démocratique d'un homme, Recep Tayyip Erdogan, qui a incarné l'espoir et qui, à lui seul, est aujourd'hui une malédiction. Les intellectuels et les opposants au régime s'inquiètent de la dérive autoritaire du président turc, craignent pour les libertés et pensent que le pays va dans le mur. Mais les petits soldats d'Erdogan sont en embuscade et lui obéissent les yeux fermés. Ils partagent son rejet de l'État laïque et moderne fondé par Mustafa Kemal Atatürk et soutiennent le "sultan" qui veut renouer avec l'empire ottoman.
Pendant la guerre des années 1980-1990 qui a opposé l'armée turque aux séparatistes kurdes, les chrétiens syriaques se sont trouvés pris en étau dans un conflit qui les dépassait. Menacés autant par les Turcs que par leurs voisins kurdes, la majorité des chrétiens ont fui leurs villages. Née Wardey, la "rose" en arabe, une religieuse syriaque a refusé de partir. Elle vit retranchée dans la citadelle de Zaz et s'accroche à son église, malgré les menaces de mort de ses voisins kurdes et l'isolement total auquel elle est astreinte.
Elle ne lâche jamais son téléphone portable, qui n'arrête pas de sonner. Gül habite Antioche, à proximité de la frontière syrienne, seule avec ses deux enfants et fait vivre la maisonnée grâce à sa nombreuse clientèle téléphonique : Gül est marieuse. Elle parvient presque toujours à répondre aux exigences des célibataires, veufs ou polygames turcs, qui l'appellent de tout le pays pour acheter une, voire plusieurs épouses. La marieuse d'Antioche doit son succès à sa spécialité : des femmes syriennes puisées dans la masse des réfugiés.
À Pau, une association fait découvrir la musique aux enfants des quartiers populaires. Depuis l'automne 2015, Fayçal Karoui, chef d'orchestre internationalement reconnu, anime l'orchestre palois El Camino (le chemin en espagnol) dans le quartier Saragosse, l'un des plus pauvres de la ville. Une centaine d'enfants se sont lancés dans l'aventure. Agés de 8 à 11 ans, ils viennent de onze écoles et collèges de Pau, certains en zone prioritaire, d'autres non, afin de favoriser la mixité sociale. Les musiciens en herbe n'ont jamais touché d'instrument, ne savent pas lire une partition mais ont essayé tous les instruments avant de choisir le leur et d'apprendre à l'oreille et par mimétisme. Aujourd'hui, ils se produisent dans la salle de concert de la ville et jouent Beethoven et Ravel. Les photographies de David Le Deodic saisissent l'instant des répétitions en plein air devant les barres d'immeubles, les sourires et la concentration des enfants pendant les cours, les explosions de joie dans la performance, mais aussi les doutes et les déceptions d'un apprentissage difficile.
C'est l'histoire du plus important naufrage d'un bateau de migrants en Méditerranée. Dans la nuit du 17 avril 2015, des dizaines d'Africains embarquent sur le bateau sans nom, un chalutier long de 21 mètres prévu pour quinze marins. Le chargement s'étire jusqu'à l'aube et, lorsque le bateau lève l'ancre, ils sont huit cents hommes à se serrer à bord, dans le vent et le vomi. Le bateau sans nom avance lentement à cause de la surcharge et les passagers n'ont pas le droit de bouger au risque de faire chavirer le bateau. Bientôt le frêle chalutier est en perdition et les deux marins libyens improvisés capitaines contactent les garde-côtes italiens pour un sauvetage en urgence. Le seul navire disponible dans le secteur est le King Jacob, un porte-conteneurs de 140 mètres de long difficile à manœuvrer en approche. L'inévitable se produit alors : le flanc gauche du chalutier est éperonné par le King Jacob, les passagers paniquent et se massent sur le flanc droit, le bateau chavire, en quelques instants la mer les avale tous, c'est le chaos total. Et soudain, des cris retentissent ! On hisse les vingt-huit survivants à bord des canots pneumatiques. Lors de leur enquête, les auteures ont retrouvé la trace des rescapés, éparpillés dans les zones grises de l'Europe. Elles ont également rencontré les garde-côtes italiens, les militaires, les médecins légistes et les associations d'aide aux migrant·es, afin de nourrir leur récit de nombreux témoignages. Au terme de leur enquête, les a priori simplistes sont tombés et la complexité du naufrage s'est imposée : en 2015, plus d'un million de migrant·es sont arrivé·es illégalement en Europe et des milliers sont mort·es en mer.
Lee Kuan Yew, Premier ministre de Singapour de 1959 à 1990, était un autocrate qui entendait régimenter son peuple, au nom de la réussite économique et sociale de la cité-État, en dépit de toutes les libertés individuelles. Selon ce diktat, le citoyen singapourien devait être docile et bien formé, parler anglais et chinois, porter des cheveux courts, respecter les normes d'hygiène occidentales et limiter sa progéniture. Pendant des années de façonnage, Singapour a encouragé les pauvres à avorter et les riches à procréer, afin de produire une élite d'êtres intelligents et disciplinés, conformes aux logiques économiques. Aujourd'hui, cet eugénisme d'État est un échec total et Singapour connaît un déclin démographique inquiétant.
La prison est un microcosme social, à l'image de la vie à l'extérieur mais en pire. Dans les prisons françaises, on trouve des caïds et des criminels de tous poils, mais aussi des petits vieux. Ils sont de plus en plus nombreux et représentent 12 % de la population carcérale. Le vieillissement en prison pose question car il crée une déconnexion des détenus âgés avec le réel, avec la vie au dehors. L'administration cherche en permanence l'équilibre entre une prison qui ne doit pas être "confortable" ni s'apparenter à une maison de retraite et une incarcération qui doit rester humainement vivable.
Martin Winckler est né à Alger d'un père médecin, qui soignait autant les Algériens musulmans que les Français chrétiens et juifs, les riches et les pauvres sans distinction. Exilé en Israël dès 1961 pour éviter les représailles des deux camps, revenu en France après une année d'intégration sioniste impossible, le père Winckler s'est finalement installé comme médecin généraliste à Pithiviers avec sa famille. Martin a toujours voulu être médecin comme son père mais il se qualifie volontiers de "mutant" : opposé au bizutage et à l'humiliation, rebelle face aux mandarins et pionnier dans le traitement de la douleur, il est considéré comme un médecin marginal. L'auteur de "La maladie de Sachs" s'est longtemps battu pour une meilleure politique de santé publique, pour une revalorisation de la médecine générale et contre les actes médicaux dangereux et inutiles. Aujourd'hui, fatigué des critiques, il est installé au Canada et donne des cours d'écriture dans une faculté de médecine.
De retour d'Amérique du Sud où il a vécu plusieurs années en famille, Didier Tronchet n'a pas supporté l'atterrissage en France ni l'hiver rigoureux de son Ardèche natale. Alors, sur un coup de tête, il fixe un nouvel objectif familial : expérimenter la vie sur une île. Au large de Madagascar, l'île aux Nattes semble idéale pour vivre en Robinson, sans limite de temps, en toute liberté, comme une expérience originelle. Le récit graphique raconte ce voyage en famille, l'émerveillement des enfants devant l'océan Indien et les paysages de carte postale, le sentiment d'une île, le ralentissement absolu des jours qui passent avec la même monotonie, jusqu'à l'épreuve de l'usure du paradis. L'hospitalisation en urgence d'un des enfants de l'auteur pour une crise aiguë de paludisme et la peur de le perdre décident du rapatriement précipité de toute la famille en France et de la fin de l'aventure.
